Les espaces de travail, leviers de la transformation des entreprises
Les espaces de travail, levier numéro un de la transformation des entreprises ? C’est ce qu’affirme Olivier Cros, directeur du Studio Design & Project de CBRE, cabinet conseil en immobilier d’entreprise : « Nos clients voient dans leurs projets d’aménagement un moyen d’améliorer l’agilité recherchée », observe-t-il.
Ce n’est pas la Société générale qui le contredira. La banque a créé un vaste ensemble immobilier de 126 000 m2, Les Dunes, à Val-de-Fontenay (94), qui accueille aujourd’hui 9 000 collaborateurs, et se veut l’incarnation de la transformation numérique du groupe. L’objectif est de donner aux salariés les moyens d’inventer la banque de demain, en mettant à disposition outils digitaux et services, et en faisant la promotion de modes de travail collaboratifs et ouverts.
Le travail est devenu collaboratif
Co-construit avec les salariés, le projet des Dunes a abouti à la mise à disposition d’une grande variété d’espaces de travail et d’expérimentation. Chacun choisit son espace en fonction de ses besoins, tout en ayant un quartier de rattachement, la possibilité de travailler sur un autre site ou en télétravail.
L’offre de services annexes est riche : espaces de restauration, de bien-être et de fitness, stand d’assistance technique, agence bancaire, salle de jeux… Et un lieu dénommé « le plateau » accueille également sur 1 000 mètres carrés des start-up internes et externes. Une façon d’immerger les salariés dans une culture de l’innovation.
« Il y a trois ans, tout le monde a pris conscience que les espaces de travail étaient inadaptés au monde du travail d’aujourd’hui, observe Olivier Cros. Schématiquement, avant, dans les activités tertiaires, le travail était essentiellement individuel, prévisible et le seul moyen de le réaliser était d’être physiquement présent à son poste».
Si le mouvement de bascule a commencé il y a cinq à sept ans, le phénomène est massif depuis trois ans, selon cet expert. De fait, le travail est devenu essentiellement collaboratif – les salariés passent plus de 50 % de leur temps en réunion –, imprévisible et nomade.
Impacts sur la motivation
Selon les résultats du baromètre CSA/Actineo de 2015, les salariés répondants jugent très majoritairement que la qualité de l’espace de travail a un impact sur leur motivation dans leur travail individuel (92 %), dans le travail collectif (87 %), et sur leur niveau d’engagement (85 %).
En même temps, dans une étude CSA-JLL (conseil en immobilier d’entreprise) publiée en juin 2017, et menée auprès de 7 000 salariés en Europe, dont 1 003 Français, seuls 38 % d’entre eux considèrent que leur environnement leur permet de travailler très efficacement.
Il reste donc encore beaucoup de marges de progrès… « Depuis l’origine du cabinet en 2002, nous avons misé sur le bien-être et l’humain, soutient Michel Ciucci, directeur général de CD & B, cabinet français expert en transformation des espaces de travail. De plus en plus, les DRH prennent conscience que l’entreprise doit prêter attention au cadre de travail, à la fois pour être performante, enregistrer moins d’absentéisme, et faciliter le recrutement. Aujourd’hui, on observe une grande évolution dans les modes d’organisation et l’importance de l’innovation managériale. On détruit le modèle pyramidal. Ce sont ces évolutions que nous traduisons dans nos espaces. »
Au sein même de CD & B, un grand lounge est un des lieux les plus fréquentés pour travailler : du mobilier technique et mobile permet de modifier l’aménagement de l’espace en fonction des besoins grâce par exemple à des alcôves traitées accoustiquement pour s’isoler.
L’espace de travail, accélérateur de transformation culturelle
De leur côté, Steelcase et Microsoft ont imaginé de nouveaux « espaces créatifs immersifs qui combinent espace et technologie afin d’aider les individus à trouver de nouvelles idées et à les faire avancer ». « Cette transformation fondamentale des modes de travail est une opportunité, assure Karima Silvent, DRH Axa France. Pourquoi tant d’entreprises se disent qu’il faut travailler autrement ? La question de la cohabitation de différentes générations au travail s’impose de plus en plus à elles et ces populations ont un rapport à la hiérarchie différent. De plus, les entreprises ne peuvent plus ignorer “l’effet start-up” et ont besoin d’être attractives. »
Une étude de JobTeaser parue fin 2016 dévoilait qu’un tiers des étudiants désirent travailler en start-up une fois leur diplôme obtenu. Consciente de ces enjeux, Axa France a signé en avril 2016 un accord sur le développement de nouvelles formes d’organisations de travail, connu en interne sous le nom de NWOW : new way of working ou new world of work.
Selon Karima Silvent, l’espace peut être un accélérateur de transformation culturelle. Fin 2017, trois immeubles auront vu leurs aménagements totalement revus à Nanterre (92) et en novembre, l’ouverture du siège d’Isneauville près de Rouen marquera aussi un tournant.
Au total, environ 2 000 salariés en CDI auront évolué vers une organisation spatiale basée sur l’activité, préalablement testée, le reste de l’entreprise demeurant en open space traditionnel. Des évolutions possibles aussi parce que 25 % des salariés pratiquent déjà le télétravail, et disposent des outils techniques adaptés.
Environnements dynamiques
Les entreprises ont fait le constat en général que 50 % des postes sont inoccupés à un moment T, alors même que l’immobilier est le second poste de coût après les salaires. De quoi les faire réfléchir. Les espaces organisés par activité, ou environnement de travail dynamique, sont depuis quelques années plébiscités dans les nouveaux projets d’aménagements.
C’est ce qu’a initié l’assureur Covéa, né de la fusion de Maaf, MMA, et GMF, qui veut aujourd’hui établir un référentiel commun sur les environnements de travail par type d’activité . Mais « les directions ne savent pas trop doser la proportion d’espaces spécifiques pour s’isoler ou se réunir, constate Gérard Pinot, cofondateur de Génie des Lieux, groupe de conseil en aménagement tertiaire. D’autant qu’aujourd’hui, le télétravail devient un droit. On ne sait pas dire quelle est la bonne solution d’aménagement si on ne sait pas quel usage sera fait des différents lieux ».
Et si on prévoit trop de possibilités, on dépense trop, pas assez, on risque l’insatisfaction des salariés et surtout moins de performance. Pour creuser cette équation, Génie des Lieux a lancé Bureaulib Dupleix, un espace de 500 mètres carrés dans le 15e arrondissement de Paris, afin que des salariés de grandes entreprises puissent expérimenter des aménagements et mobiliers parmi une palette de possibilités (espace calme, salles de réunion, espace café-détente, salle de créativité, etc.). Une façon d’aider ses clients à mieux définir leur cahier des charges et les services qu’ils souhaitent.
Expérimentation avec un sociologue
Le cabinet ne se contente pas de faire tester le lieu – entre 20 et 30 entreprises se sont prêtées au jeu –, mais il est allé plus loin en construisant un protocole d’expérimentation avec un sociologue.
Félix Traoré poursuit une thèse sur les rapports entre l’activité et les innovations en matière d’espaces de travail. « Pour le moment, observe-t-il, les discours qui accompagnent l’introduction de concepts comme le flex office semblent davantage décrire la manière dont les entreprises voudraient voir leurs salariés travailler que la réalité de leur expérience. Concernant le flex office, on conseille souvent de maintenir la création des territoires d’équipes, mais il est encore difficile d’avoir un retour d’expérience empirique sur l’effet de ces modes de travail. »
Face aux mots d’ordre actuels de mobilité, de collaboration, de transversalité et de management par la confiance, y a-t-il une corrélation avec la conception des espaces ? C’est ce que le sociologue veut vérifier, en observant l’activité dans le détail et dans la durée. « Le temps de la recherche me permettra d’analyser l’activité, dans son aspect dynamique, et de me faire expliquer les usages par les salariés eux-mêmes. » L’objectif est ensuite de constituer une bibliothèque de situations de travail.
Le coworking progresse
Autre évolution marquante récente, le développement des espaces de coworking, y compris pour les salariés. « En 2012, il y avait 20 espaces de coworking à Paris, aujourd’hui, 149 sont ouverts, et 28 vont ouvrir dans les mois qui viennent », indique Valérie Mellul, présidente de Nexity conseil et transaction. Le groupe immobilier a lui-même lancé Blue Office, et dispose de plusieurs espaces en région parisienne. Un nouveau centre ouvrira dans les prochaines semaines avenue de la Grande Armée à Paris.
Dans tout l’Hexagone, la société de conseil LBMG worklabs, qui accompagne les entreprises sur le déploiement du télétravail, en avait recensé 400 dans un baromètre réalisé en juin 2016. « Il y a beaucoup d’activités pour lesquelles nous n’avons pas besoin d’être dans un lieu unique de travail, avance Valérie Mellul. Et face à des temps de transport longs, est-il vraiment nécessaire de faire le trajet vers son entreprise tous les jours ? Les espaces de coworking apportent les moyens techniques de locaux professionnels, ils permettent de gagner du temps mais sont aussi une opportunité de rencontres et d’ouverture sur l’extérieur. » Attention tout de même, prévient Olivier Cros, si les entreprises en attendent du dynamisme, de la solidarité et de l’innovation, l’espace lui-même ne fait pas le résultat…
LBMG worklabs a conçu Neo-nomade, une plateforme d’intermédiation permettant aux salariés de réserver des espaces de coworking. « Demain, les salariés travailleront à leur domicile, dans un “hub” au siège et dans des espaces de coworking », prédit Baptiste Broughton, directeur de Neo-nomade. La plateforme a des accords avec tous les espaces de coworking de France.
Espaces de travail et QVT
« Les DRH sont motivés par l’apport de ce type de solution en termes de QVT, même s’ils soulèvent parfois le problème du coût. Mais s’ils analysent l’équation immobilière financière globale, proposer ces espaces a tout son sens si le siège est moins grand, que le télétravail se développe et que des lieux proches du domicile des salariés sont accessibles. » Le coût est estimé en moyenne à environ 25 euros la journée, à Paris et en Île-de-France, et 18 euros en région, auxquels viennent s’ajouter des coûts annexes.
Près de 3 000 salariés pratiqueraient le coworking, et une quinzaine d’entreprises, dont EDF (direction des services partagés), une filiale du Crédit agricole, Cap Gemini, ou encore Generali utilisent cette plateforme.
« On constate en général que sur 100 télétravailleurs, un quart fera le choix d’espaces de coworking, en l’utilisant en moyenne 1,5 jour par mois », ajoute Baptiste Broughton.
Orange est même allée encore plus loin en créant un espace de « corpoworking », qui n’est en rien un lieu de passage mais plutôt un espace permettant aux salariés de l’opérateur télécoms d’expérimenter de nouveaux modes de travail et de faire d’eux, demain, les ambassadeurs des nouvelles pratiques collaboratives. Ceci au contact de start-up et de free-lance extérieurs.